top of page
Les Monades Urbaines • Étude prospective

Commerces, bureaux, logements familiaux, résidence sénior, crèche, complexe sportif, square, ferme urbaine, marché, hôtel, restaurants

Fiche technique

 

Partenaire conseiller environnemental
Guillaume Parizot (EODD)
Programme

Étude prospective d’une tour de 200m comprenant:
— Commerces
— Bureaux
— Logements familiaux
— Résidence sénior
— Crèche
— Complexe sportif
— Square
— Ferme urbaine
— Marché
— Hôtel
— Restaurants
SHON 100 000 m²
Équipe projet  Warren Lepolard, Elise Hesters, Pierre Soumagnac
Perspectives Maison Générale

En 1971, paraissait aux états-Unis Les Monades urbaines, un roman d’anticipation appelé à rencontrer un succès international. Son auteur, Robert Silverberg, y décrivait une Terre du xxive siècle, tellement surpeuplée que les habitants y vivaient dans des tours de mille étages, les « monades urbaines ». Ces habitats proliféraient sur des kilomètres, formant des agglomérations complexes. Ces constructions verticales, réponse bâtie à une courbe « galopante » de la démographie – un des grands thèmes de la science-fiction des années soixante-dix –, n’occupaient que 10 % de l’espace géographique afin de préserver du sol pour la culture vivrière. Au fil du récit, le lecteur découvrait une population captive dans ces bâtiments de grande hauteur où régnait une ségrégation sociale impitoyable. L’utopie se muait en dystopie.

 

Au moment où paraît le roman, l’Europe, et tout particulièrement la France des années post-1968, s’inquiète devant ces constructions de grande hauteur héritées de l’impérieuse nécessité de la reconstruction des villes après-guerre. Les Parisiens de ces années-là regardent avec défiance s’élever bien au-dessus de la bienséante homogénéité haussmannienne plusieurs grands projets, principalement liés à l’habitat : sans état d’âme, le quartier des Olympiades efface l’ancien XIIIe arrondissement populaire ; sans complexe, le Front-de-Seine domine le fleuve à ses pieds dans le XVe, et dans l’Est parisien, les Orgues de Flandre dressent leur fracassante modernité. Ici et là, quelques bâtiments isolés fracturent l’homogénéité de la ligne d’horizon. Acmé de cette conquête, la tour Montparnasse, achevée en 1972, s’affirme, avec ses 210 mètres, comme le plus haut bâtiment d’Europe. Cependant, la population reste hostile aux tours, les jugeant inhumaines ; leur hauteur fait peur. Dans Paris intra-muros, la réglementation évolue. Ainsi, en 1977, la hauteur maximale est fixée à 25 mètres dans les quartiers du centre de la capitale et à 37 mètres dans les arrondissements périphériques. Seule exception à la règle, en lisière de la capitale patrimonialisée, le quartier d’affaires de La Défense reste le pré-carré des constructions de tours ; là, l’avantage de la densité se double du rôle symbolique de dresser au vu et au su de tous, l’image de marque des grands groupes privés...

Quarante-cinq années après les visions urbaines aliénantes de Silverberg, le constat est flagrant : partout sur la planète, la démographie et l’urbanisation connaissent une courbe exponentielle. Bientôt, près de 80 % de la population mondiale sera urbaine. Comme le résumait le paysagiste néerlandais Dirk Sijmons, en mai 2014, lors de la Biennale de Rotterdam consacrée à la nature en ville, dorénavant, avec « plus de la moitié de la population globale vivant dans des zones urbaines, avec davantage d’arbres dans les parcs et les pépinières que dans la forêt tropicale, les villes sont devenues notre environnement naturel. Si nous voulons résoudre les problèmes mondiaux écologiques, nous devons d’abord apporter une solution à ceux que pose le développement urbain ».


C’est dans ce contexte d’urbanisation continue et de lutte nécessaire contre l’étalement urbain que le débat sur la grande hauteur resurgit. Ces questions sont à nouveau posées à l’occasion du projet de création de la métropole du Grand Paris, en cours depuis 2008, et de la décision du Conseil de Paris en novembre 2011 autorisant la révision des règlements d’urbanisme pour certains secteurs de la capitale. Ce déplafonnement permet d’y construire des tours d’habitation de 50 mètres de haut mais aussi des immeubles de bureaux pouvant s’élever jusqu’à 180 mètres.


Aussi les premières réalisations de grande hauteur apparaissent-elles. Ponctuant depuis peu le tissu francilien, elles sont portées par le besoin d’expansion, dans une densité urbaine contrôlée, soucieuse de son environnement : Porte de Clichy, le tribunal de grande instance de Paris (TGI), haut de 160 mètres, dessiné par Renzo Piano, sera livré en mars 2017. En juillet 2015, le Conseil de Paris approuvait la construction – controversée depuis plusieurs années – de la tour Triangle située à côté du Parc des Expositions et de la Porte de Versailles dessinée par Herzog & de Meuron. S’élevant à 180 mètres, accueillant un programme de bureaux, un hôtel et un équipement culturel, l’édifice cristallin a aussi pour objectif de suturer le XVe haussmannien avec les communes voisines de Vanves et d’Issy-les-Moulineaux.


Alors, comment concilier la hauteur, économe en emprise au sol, avec l’aménité urbaine, le bien-être des habitants et des riverains ? Le sentiment négatif de congestion naît souvent de l’absence ou de l’indigence de lieux publics tels que des squares facilement accessibles, des jardins de proximité susceptibles d’apporter à chacun le sentiment d’habiter et de s’approprier véritablement son quartier. Ces problématiques, largement abordées dans le cadre des projets réalisés dans notre agence, nous ont amené à travailler sur cette question théorique, mais en l’arrimant pleinement aux réalités concrètes de la ville contemporaine, et précisément à Paris dans cette phase d’évolution.

Notre proposition bâtie vise à démultiplier les possibilités programmatiques au moyen de plateaux constructibles superposés et sur lesquels se répartissent et s’enchevêtrent des espaces aussi bien privés que publics. Nous voulons expérimenter la typologie de la tour, non pas comme objet urbain monofonctionnel mais comme lieu de vie partagée. La grande hauteur propose un « quartier vertical » inscrit dans la ville existante et contenant sa propre urbanité. Elle est créatrice de nouveaux sols, d’espaces publics ouverts et accessibles à tous : squares, jardins, places, marchés, terrains de jeux et aires sportives. Elle se distingue par la mixité de ses programmes et offre aux citadins la plus grande richesse de services, de commerces et d’activités. Les habitants de la monade, mais aussi ceux du quartier alentour comme des autres arrondissements, les visiteurs, les simples promeneurs ou les badauds peuvent y accéder à de nombreuses activités et aux vues lointaines sur la métropole ; toutes choses que ne pourrait offrir un développement horizontal.

 

Cette monade fonctionne comme un écosystème pouvant se réinventer ou se transformer au gré des besoins. En effet, sa structure selon un plan libre, portée en façade seulement, dégage de vastes sols qui sont autant de terrains à investir de toutes les manières possibles.


Nous avons imaginé pour cette construction verticale une programmation plurifonctionnelle comprenant un socle de commerces et de bureaux connecté au quartier, un centre sportif équipé d’une piscine panoramique, des logements avec des vues sur le Grand Paris, complété d’une résidence pour « seniors » à proximité d’une crèche, une serre agricole de production hors-sol et son marché attenant, un hôtel et ses restaurants panoramiques … accessibles à tous depuis des ascenseurs publics en lien direct avec le parvis à rez-de-chaussée. Ce quartier vertical se glisse dans les franges de la ville contemporaine et propose de créer, avec un impact au sol réduit, la même qualité de vie qu’un quartier horizontal, trop consommateur de sols… les vues en plus.


L’aménité de ses lieux mutualisés incite à la rencontre. Cette pratique de l’espace public est l’héritière d’une longue tradition urbaine européenne mais s’inspire aussi des expériences du continent asiatique. Là-bas, chacun peut naturellement pénétrer dans un bâtiment de grande hauteur pour y admirer le paysage sur la ville ou y dîner, y jouer, y consommer, s’y détendre… Notre monade adopte également la verticalité assumée de l’urbanisme américain qui décuple à volonté les sols mais sait aussi créer des intensifications urbaines en regroupant des bâtiments de grande hauteur autour de centralités choisies, sans pour autant répandre ce modèle dans un infini uniforme.


Ce projet de monade fait aussi appel à la nostalgie d’un Paris généreux où la jouissance de certains lieux privés était offerte à chacun. La cafétéria du dernier étage du Centre Pompidou, pour ceux qui l’ont connue, proposait un espace libre, luxueux de par sa position surplombant le cœur de Paris, où consommer n’était pas une obligation. Il en était de même de la terrasse de la Samaritaine qui offrait, sans le monnayer, un des plus beaux panoramas de la capitale. C’est cette générosité que le Grand Paris de demain ne doit pas perdre, et même amplifier.


Après l’avoir imaginée in abstracto, nous avons implanté notre première monade sur un site concret, le quartier en plein développement de la Porte de Clichy, volontairement à la jonction de trois communes – Clichy, Levallois-Perret et Paris –, qui accueillera bientôt le nouveau TGI évoqué précédemment. L’idée étant de suturer cette confluence territoriale à l’aide du bâti. Placées au milieu d’autres monades, celles-ci se juxtaposent comme autant de quartiers verticaux dotés de leurs programmes spécifiques, de leurs ambiances et de leurs particularités. Elles peuvent être à dominante universitaire ou scolaire, intégrant des centres sportifs à grande échelle, des lieux de travail et d’échange, au cœur d’un habitat de qualité pour étudiants. Elles peuvent être associatives et culturelles, assorties de logements, d’équipements publics, etc. Elles sont plus ou moins hautes pour créer, entre elles, des polarités urbaines. Implantées de part et d’autre du périphérique, les monades répondent à des besoins locaux. Elles se juxtaposent, s’additionnent et se complètent. Elles émergent d’un nouveau sol continu, d’où vont naître des places publiques, des jardins enjambant les infrastructures, tandis que des passages publics et commerciaux se glissent sous le réseau de la gare Saint-Lazare. Le site, à l’origine divisé, se voit ainsi unifié par le bâti, tout en tenant compte des réalités et des particularités des quartiers environnants préexistants. Cette nouvelle urbanité, desservie par la ligne 14, permet de tisser des liens concrets et sociétaux entre les trois villes. Elle redéfinit chacune de ses franges et de ses friches par la mise en place d’une nouvelle centralité intercommunale valorisante, n’appartenant ni à l’une ni à l’autre des villes, mais à toutes les trois à la fois. Nous avons pris beaucoup de plaisir au sein de l’agence à imaginer ce projet qui souhaite apporter sa pierre à l’édification d’un Grand Paris connecté et généreux, attentif au plaisir de vivre et à la qualité d’un environnement précieux, ouvert à tous. La hauteur, concentrée en des points stratégiques, n’engendre pas pour autant l’aliénation ; elle peut être une liberté.

 

Gaëtan Le Penhuel

bottom of page